De 1978 à 1981 j'ai eu le grand plaisir de rencontrer à plusieurs reprises René Monory alors que j'étais officier des transmissions et du chiffre du Président Valéry Giscard d'Estaing. René Monory, nous a accompagnés dans plusieurs voyages officiels. Je me souviens plus particulièrement de l'un d'eux, au Rwanda, je crois.
Nous étions conviés à un dîner informel chez le Premier Conseiller. René Monory, homme costaud et secret, s'inquiétait d'un adjudant chef chargé de remettre un pli extrêmement urgent et confidentiel au Président de la République sur le point de décoller pour une autre destination africaine.
G. Le-Moine puisqu'il s'agit de lui, au risque d'avoir un accident, voire de se faire arrêter brutalement fonçait vers l'aéroport avec son chauffeur africain et sa voiture officielle tous phares allumés, klaxon bloqué et avec force sifflet pour que s'ouvrent les multiples barrages de police installés entre Kigali et l'aéroport.
René Monory devant cette volonté de parvenir coûte que coûte à informer le Président, la tactique adoptée pour passer les obstacles de sécurité au mépris du danger me dit : " je suis certain que "Gaston" arrivera avant le décollage du Président car il est comme moi, il ne craint pas le risque ". Il y parvient d'extrême justesse et René Monory le félicite avec simplicité, affection et même admiration.
Au cours de ce dîner nous avons parlé " transmissions ", très longuement mais aussi " politique ". Je me souviens qu'il disait que faire de la politique ce n'était pas plaire en construisant un centre commercial au centre ville pour y créer une activité immédiate, mais imaginer ce que sera l'envie de nos enfants dans 20 ou 30 ans et qu'à la réflexion, il était préférable de transformer le coeur de la ville en un immense jardin avec des pelouses, des arbres et de l'art.
René Monory s'était résolu à être un coureur solitaire pour repenser le monde contre ceux qui ont peur du changement, de l'inconnu et de l'autre.
A l'heure où il nous quitte, j'ai une pensée pour ce visionnaire qui sentait mieux qu'aucun autre "les évolutions telluriques de la société pour les devancer, les anticiper ou les inventer".
L'homme politique, disait-il dans La Volonté d'agir, "doit enfin résister à notre " gallicentrisme " si héxagonal, à la tentation d'être content de soi, à ce vague sentiment de supériorité qui nous caractérise. Partir, voyager, voir ailleurs, picorer çà et là des idées, des tendances, des audaces, observer les réussites obtenues sous d'autres latitudes, jamais les échecs : c'est ainsi que l'intuition du politique se fortifie, se précise, se concrétise... je voudrais dire, une fois encore et de toutes mes forces à ceux qui veulent rentrer dans l'arène politique : soyez réalistes, demandez l'impossible".